Protection des lanceurs d’alerte : le Sénat pourrait adopter de dangereuses dispositions

Publié le : 11 · 01 · 2022

Mis à jour le : 26 · 12 · 2022

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Paris, le 16 avril 2018, mobilisation contre la loi secret des affaires. Des manifestants installent une banderole pour demander la protection des lanceurs d’alerte. © Vincent Isore/IP3

Va-t-on connaître une régression de plusieurs années ? Alors que la proposition de loi Waserman – proposition de loi nº 4398 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (assemblee-nationale.fr) – arrive en séance plénière au Sénat, syndicats et associations tirent la sonnette d’alarme sur les dispositions inquiétantes qui pourraient être adoptées après que la commission des lois a, à la mi-décembre, supprimé l’essentiel de celles qui fondaient la protection des lanceurs d’alerte. Si la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, le retournement est brutal : les amendements votés reviennent sur les avancées obtenues et constituent même, dénonce l’Ugict-Cgt dans un communiqué – « Proposition de loi sur les lanceurs d’alerte : le Sénat est-il aux mains des lobbys ? » –, « une régression par rapport à la situation actuelle et à la loi Sapin 2 » sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique.

A commencer par la définition même du lanceur d’alerte. En effet, celle-ci ne s’appliquerait plus qu’à ceux qui dénoncent des « violations graves de la loi », et non plus à tous ceux qui signalent des faits contraires à l’intérêt général. « Cela exclurait un certain nombre de personnes qui voudraient alerter sur un risque environnemental, la dangerosité d’une substance chimique, d’un médicament, comme ce fut le cas avec le Mediator ou la Dépakine », indique Blandine Sillard, chargée du développement à la Maison des lanceurs d’alerte. Dans le même esprit, Antoine Deltour (affaire LuxLeaks) n’aurait pas été reconnu comme lanceur d’alerte. À rebours également de la loi Sapin 2, cette définition restreindrait le droit d’alerte au cadre professionnel, ignorant ainsi ce qui relève de l’usager, du patient ou du simple citoyen.

Mais c’est bien l’architecture d’ensemble de la protection des lanceurs d’alerte qui est mise à mal par le Sénat : outre la suppression de la protection des associations et syndicats « facilitateurs » d’alerte, dont le rôle était notamment de préserver l’anonymat des personnes, les «étouffeurs » d’alerte sont ménagés, et les possibilités de saisir la presse, limitées… « Avec une telle rédaction de la loi, la lanceur d’alerte de 3M [voir encadré] n’aurait pas pu rendre publique son alerte », estime l’Ugict-Cgt. « Le risque, abonde la Maison des lanceurs d’alerte, est de dissuader les lanceurs d’alerte de jouer leur rôle de vigie démocratique. »

La clause de régression de la directive européenne

À l’heure où nous écrivons, les amendements au texte adopté par la commission des lois ne sont pas encore connus. Mais le danger est réel. « Nous appelons les sénateurs à rétablir la version initiale de la proposition de loi », déclare Sophie Binet, secrétaire générale de l’Ugict-Cgt. Une proposition de loi destinée à transposer la directive protégeant les lanceurs d’alerte, votée par l’Union européenne en 2019. Et une directive « gagnée de haute lutte, grâce à la mobilisation d’Eurocadres, de ses syndicats affiliés et de la coalition d’Ong et de journalistes que nous avons créée. Nous ne laisserons pas faire les tentatives de détricotage », prévient Nayla Glaise, présidente d’Eurocadres.

D’autant que de nombreux amendements entrent en contradiction avec la clause de régression contenue dans la directive : celle-ci prévoit explicitement que le processus de transposition ne peut aboutir à un affaiblissement de la protection bénéficiant, en droit interne, aux lanceurs d’alerte. Si tel était le cas, ce serait un mauvais signal lancé par l’exécutif alors que la France prend la présidence de l’Union européenne. Y est-il prêt ?

Christine Labbe

https://ugictcgt.fr/cp-senat-alerte/

Christine Labbe

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