Entre l’Agence France-Presse (Afp) et Google, « le bras de fer durait depuis des mois », témoigne David Courbet, délégué syndical Snj-Cgt à l’Afp. Le 17 novembre dernier, ce bras de fer a trouvé une issue avec la signature d’un accord sur les droits voisins, faisant de l’agence de presse le premier média français à s’entendre avec le géant du numérique. Créés par la loi au profit des agences et éditeurs de presse, ces droits entraînent « une rémunération […] pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique ». Pour le Snj-Cgt, la contribution financière qui en résulte constitue ainsi « une avancée dans la lutte contre la précarité dans la profession et la fragilité économique des entreprises de presse que l’irruption du numérique a causée ».
Mais l’issue trouvée à l’Afp reste insatisfaisante. En effet, quelle que soit la manne que peuvent en tirer les éditeurs, un accord signé avec Google ne signifie pour l’heure rien de concret pour tous ceux qui participent à la production d’information (journalistes, juristes, administratifs…), qui est un « travail d’équipe », insiste le syndicat. Il n’y a donc aucune obligation à ce que cette manne « ruisselle » vers eux, en particulier parce que la loi elle-même ne prévoit rien de précis…
Une loi délibérément floue sur la part reversée aux producteurs d’information
C’est en juillet 2019 que le Parlement adopte un texte transposant la directive européenne sur les droits voisins. D’emblée, le Snj-Cgt fait part de son inquiétude sur les dispositions qu’il contient s’agissant de la rémunération des journalistes, résumée à une « part appropriée et équitable », sans définition plus précise. Toujours dans le droit-fil de la directive, la loi renvoie à des négociations la signature d’un accord collectif ou d’entreprise définissant justement les modalités et la répartition de cette rémunération.
Une législation insuffisante pour le Snj-Cgt, qui craint une « véritable bataille » dans la presse, avec des accords laissant libre cours aux « appétits des propriétaires des médias » et ignorant les journalistes. C’est ce que souligne aussi la Fédération européenne des journalistes (Fej), pour laquelle la directive européenne n’offre pas assez de garanties, particulièrement en ce qui concerne une « juste rémunération » des journalistes.
Ce n’est pas Google qui va payer les salaires
« Le fait que Google signe un accord souligne la reconnaissance du travail des journalistes, estime David Courbet. Il affirme que toute production intellectuelle doit être rémunérée et protégée. » Mais il ne règle pas le combat pour la reconnaissance salariale de leur travail : « On ne se fait pas d’illusions non plus, ajoute le délégué syndical, ce n’est pas Google qui va payer nos salaires. » Pour l’Afp, explique-t-il, « le Snj-Cgt souhaite que la rétribution soit aussi partagée avec les autres salariés [qui ne sont pas journalistes] de l’entreprise. Chacun doit pouvoir bénéficier des éventuelles retombées salariales ». Des discussions internes sur les modalités et le montant devraient être organisées dans les prochaines semaines, en dehors des négociations annuelles obligatoires (Nao), menées à leur terme.
Mais, pour les futures négociations, il manque une information cruciale : le montant de l’accord. Dans celui signé par l’Afp, une clause interdit en effet de communiquer la somme négociée avec Google, une stratégie assumée par le géant du numérique, qui conteste depuis des années l’obligation de payer pour les droits voisins. Dans ce contexte, David Courbet analyse positivement l’accord conclu par l’Afp : elle « n’a pas plié comme d’autres, qui ont choisi la facilité d’accords commerciaux », moins rémunérateurs.
L.N.