Si Le Rossignol de Stravinsky est une œuvre-phare, c’est aussi par la place qu’il occupe dans l’histoire de l’opéra, sa rupture avec la tradition et les formes wagnériennes, et ce qu’il révèle d’une personnalité qui a révolutionné la musique. Écrites en 1908, les premières pages portent l’empreinte de Rimski-Korsakov, pour l’instrumentation, et de Debussy pour les méandres symbolistes. Coupé dans son élan par les Ballets russes qui lui commandent L’Oiseau de feu et Le Sacre du printemps, Igor n’est plus le même quand il reprend la partition. Son langage musical a évolué vers la polytonalité, l’indépendance des thèmes, des rythmes et des harmonies, le goût des intervalles distendus, les syncopes et les contrastes de dynamiques. Avec pour résultat de curieux bariolages et une énergie qui reflète l’état chaotique de son temps.
Échec public et critique à sa création, en 1914, cet opéra de poche (45 min), inspiré du conte d’Andersen Le Rossignol et l’Empereur de Chine, a, depuis, retrouvé des couleurs. Et de bien belles avec Sabine Devieilhe. Habituée des grands rôles de soprano colorature (Lakmé, la Reine de la nuit…), celle qui fêtera ses 40 ans cette année séduit comme toujours par sa grâce, impressionne par sa maîtrise du souffle, sa capacité à colorer les aigus et à animer ses vocalises. Le reste du plateau – Chantal Santon Jeffery, Laurent Naouri, Lucile Richardot… – est au diapason, faisant triompher la musique sur la mort.
Ulysse Long-Hun-Nam
- Sabine Devielhe, F.-X. Roth (dir.), Ensemble Aedes, Les Siècles, Igor Stravinsky. Le Rossignol, 1 Cd Erato, 18 euros.