Donald Trump, J.D. Vance et extrême droite : le vrai coût de la désyndicalisation

Face aux attaques répétées de Donald Trump contre toutes les normes issues du droit international, les démocraties peinent à trouver une réponse adaptée. Négocier, riposter, se réarmer ?

Image abstraite réalisée par Antoine Thibaudeau, mélangeant peinture acrylique, étoiles scintillantes et reflets aquatiques.

Les plus optimistes conseillent de faire le dos rond est d’attendre la fin des quatre années du mandat présidentiel américain. Les plus lucides comprennent qu’une offensive d’ampleur est en cours et qu’elle ne disparaîtra pas, comme en 2020, avec la fin houleuse du mandat Trump. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de l’élection d’un tyran à la périphérie de l’empire ; le coup a été porté à la tête de la première puissance économique mondiale. Un coup violent, qui remet en question les règles tacites et écrites du commerce mondial qui ont permis l’expansion du néolibéralisme.

C’est dans ce contexte que, le 8 avril dernier, les résultats des élections professionnelles du secteur privé ont été communiqués. Ils déterminent le poids des syndicats, leur capacité à négocier les accords interprofessionnels, de branche et d’entreprise, et donc la capacité des travailleur·ses à peser sur la politique sociale du pays.

Premier constat : les trois premières organisations syndicales représentatives restent la CFDT (26,58 %), la CGT (22,21 %) et FO (14,91 %), mais celles-ci perdent des voies.

Second constat : une baisse globale de la participation. Au total, 5 191 216 salarié·es ont voté lors de ces scrutins, soit un taux de participation de 36,5 %. Si les élections des Comités sociaux et économiques (CSE) enregistrent une légère progression (58,8 % contre 57,5 % au cycle précédent), c’est un satisfecit en demi-teinte car celle-ci ne se traduit pas en progression des syndicats dans l’entreprise.

En d’autres circonstances, ces résultats, aussi peu satisfaisants soient-ils, ne prendraient pas un tour si dramatique. Mais depuis l’élection de Donald Trump, et l’idylle qui unit désormais capitalisme et extrême droite, chaque espace démocratique devient une citadelle à défendre. En l’occurrence, aux États-Unis comme en France, l’érosion syndicale est inversement proportionnelle au développement de l’extrême droite. Le taux de syndicalisation chute à moins de 10 % en 2023 et Donald Trump a été réélu.

En France, selon la Dares, les syndicats sont présents dans 11,5 % des entreprises et le Rassemblement national est crédité de 30 à 35 % des intentions de vote aux prochaines élections présidentielles de 2027. L’affaiblissement syndical est donc un symptôme à ne pas prendre à la légère.

La recherche de boucs émissaires comme programme politique

Car le RN n’a pas attendu Donald Trump pour identifier les migrants, les « Français de papier », les minorités sexuelles et de genre, les « tiers-mondistes » ou autres « européistes » comme potentiels ennemis de la nation. Il ne l’a pas non plus attendu pour ériger la recherche de boucs émissaires en programme politique. Répandre la rumeur de l’existence d’une théorie du genre, qui viendrait pervertir l’enseignement scolaire. Ce parti, qui, ne lui en déplaise, est l’expression de l’extrême droite en France, organise aujourd’hui des rassemblements pour contester ce qu’il appelle la dictature des juges. En réalité, l’application d’une décision de justice qui le condamne pour détournement de 4 millions d’€ d’argent public. On oublie que c’est en France que Renaud Camus a théorisé et popularisé la théorie du « grand remplacement » de la population européenne par une population maghrébine ou d’Afrique subsaharienne.

Pour éviter la contagion sur un terreau déjà fertile, l’essentiel est de ne pas se tromper d’analyse des causes qui permettent son développement. Car, derrière les gesticulations de Donald Trump sur les taxes douanières, dont on peine à visualiser les véritables effets sur l’économie mondiale, grenouillent des idéologues, tels que le vice-président : JD Vance. Le président homme d’affaires s’occupe de faire tourner le « business as usual », son colistier, d’installer dans la durée une gouvernance d’obédience fasciste et raciste. Sous prétexte qu’elle permettrait de rendre à l’Amérique sa grandeur d’antan (Make America Great Again).

De JD Vance, les Américains ont hérité de l’arrêt des programmes gouvernementaux Diversité, Équité et Inclusion (DEI). Programmes dont la finalité était de lutter contre toutes les discriminations. La suppression de référence au dérèglement climatique sur les sites des administrations américaines et la suppression des crédits pour la recherche contre le sida. En réalité, la suppression d’à peu près tout ce qui s’approche de près ou de loin à la très fantasmatique « idéologie woke », avec comme réel objectif la remise en question des principes fondamentaux des démocraties.

De JD Vance, l’Europe a subi à Munich, la violence d’un discours hors sol, sur la trahison des valeurs, l’illégitimité de sa gouvernance technocratique… Le tout exprimé dans un langage prétendument sans langue de bois et proche du peuple dont il se réclame le porte-parole. 

Au nom de la liberté d’expression, la disparition du réel

La question est de savoir comment de tels discours, qui ne sont fondés sur aucune réalité, ont pu trouver un électorat et surtout comment les dévitaliser ?

Poser cette question c’est déjà partiellement y répondre. Le discours de l’extrême droite ne cherche pas à être rationnel, son but n’est pas de traduire la vérité, mais de manipuler son auditoire pour parvenir à ses fins. L’usage du mensonge, de la vérité alternative et des fake news font partie de l’arsenal discursif régulièrement sollicité par Donald Trump et J.D Vance. Il sert à brouiller la frontière entre l’expression d’une opinion et celle de la vérité. Fut-elle scientifique : « Vous me dites que la terre est ronde. Moi, je maintiens qu’elle est plate. Restons-en là, vous avez votre opinion, j’ai la mienne tout aussi respectable que la vôtre ». Au nom du respect de la liberté d’expression, le réel disparait au profit d’une autre réalité. Le relativisme et la confusion s’installent et ouvrent la porte à l’expression de tous les négationnismes. Raison pour laquelle la recherche scientifique est une cible prioritaire identifiée par J.D Vance. Sidération, violence, confusion permettent de saper le socle de principes acceptés par toutes et tous et qui fondent une société. 

Une fois ce socle détruit et la nature ayant horreur du vide, les théories racistes peuvent s’installer et elles sont essentielles pour éliminer le foyer principal de résistance aux fascismes que représente le monde du travail. Car l’extrême droite redoute au temps qu’elle courtise le monde du travail salarié. Lieu de subordination, d’inégalité structurelle, c’est aussi le lieu où se créent les solidarités, notamment syndicales. Le syndicat est un danger pour sa survie. De la solidarité nait la conscience de faire partie d’une classe qui partage plus qu’elle ne s’oppose.

Un discours de dénigrement qui oppose les travailleur·ses

La campagne électorale du milliardaire Trump est un modèle du genre. Entièrement destinée à séduire les ouvrier·es, employé·es victimes de la crise financière de 2008 et la « middle class », atteinte par la dévalorisation du travail, et donc plus sensible aux logiques d’exclusions, elle s’est employée à détourner les travailleur·ses des causes structurelles et sociales qui créent les inégalités. Au détriment des migrants « voleurs de travail », du travailleur chinois sous-payé devenu « voleur de pouvoir d’achat », un discours de dénigrement qui oppose les travailleur.ses et permet d’éviter le développement de solidarité face à l’injustice et de tuer dans l’œuf toutes revendications sociales et oppositions syndicales.

Plus le lien entre syndicats et salarié·es se délite, plus le terrain est fertile pour les idéologies réactionnaires qui proposent des réponses simplistes à des problèmes complexes. Face à cela, il est urgent de renforcer ces liens et de reconstruire un syndicalisme de masse, populaire et offensif. Essentiel de politiser le travail.

La mobilisation contre la réforme des retraites a montré que les syndicats conservent un pouvoir de mobilisation considérable. Plus de trois millions de personnes ont manifesté dans toute la France. À cette occasion, la CGT et la CFDT ont enregistré une hausse significative de leurs adhésions. Le syndicalisme a prouvé qu’il pouvait incarner un espoir, une alternative crédible.

L’avenir du syndicalisme se joue aussi dans sa capacité à construire des alliances : avec les mouvements féministes, écologistes, antiracistes, étudiants. En tissant des liens entre luttes sociales et luttes culturelles, le syndicalisme peut redevenir un moteur de transformation sociale globale. Il ne doit plus hésiter à affirmer que défendre les salaires et les droits, c’est aussi lutter contre le racisme, le sexisme, la destruction de la planète.

Nous avons moins de deux ans avant les élections présidentielles de 2027. Le risque de voir l’extrême droite accéder au pouvoir n’a jamais été aussi réel. C’est maintenant qu’il faut agir. Le syndicalisme, s’il se donne les moyens de se renouveler sans renier ses fondamentaux, peut redevenir la colonne vertébrale d’une démocratie sociale vivante, protectrice et inclusive.

Emmanuelle Lavignac, secrétaire nationale de l’Ugict-Cgt