Les plus optimistes conseillent de faire le dos rond et d’attendre la fin des quatre années du mandat présidentiel américain. Les plus lucides comprennent qu’une offensive d’ampleur est en cours et qu’elle ne disparaîtra pas, comme en 2020, avec la fin houleuse du mandat Trump. Cette fois-ci, il ne s’agit pas de l’élection d’un tyran à la périphérie de l’empire ; le coup a été porté à la tête de la première puissance économique mondiale. Un coup violent, qui remet en question les règles tacites et écrites du commerce mondial qui ont permis l’expansion du néolibéralisme.
C’est dans ce contexte que, le 8 avril, les résultats des élections professionnelles du secteur privé ont été communiqués. Ils déterminent la représentativité des syndicats, leur capacité à négocier les accords interprofessionnels, de branche et d’entreprise, et donc la capacité des travailleuses et travailleurs à peser sur la politique sociale du pays.
Premier constat : les premières organisations syndicales représentatives restent la Cfdt (26,58 %), la Cgt (22,21 %) et Fo (14,91 %), mais toutes trois perdent des voix.
Second constat : une baisse globale de la participation. Au total, 5 191 216 salarié·es ont voté lors de ces scrutins, soit un taux de participation de 36,5 %. Si les élections aux comités sociaux et économiques (Cse) enregistrent une légère progression (58,8 % contre 57,5 % lors du cycle précédent), c’est un satisfecit en demi-teinte car cela ne se traduit pas par une progression des syndicats dans l’entreprise.
En d’autres circonstances, ces résultats, aussi peu satisfaisants soient-ils, ne prendraient pas un tour si dramatique. Mais depuis l’élection de Donald Trump, et l’idylle qui unit désormais capitalisme et extrême droite, chaque espace démocratique devient une citadelle à défendre. En l’occurrence, outre-Atlantique comme ici, l’érosion syndicale est proportionnelle au développement de l’extrême droite. Le taux de syndicalisation a chuté à moins de 10 % aux États-Unis en 2023 et Donald Trump a été réélu.
En France, selon la Dares, les syndicats sont présents dans 11,5 % des entreprises et le Rassemblement national (Rn) est crédité de 30 à 35 % des intentions de vote aux élections présidentielles de 2027. L’affaiblissement syndical est donc un symptôme à ne pas prendre à la légère.
La recherche de boucs émissaires comme programme politique
Car le Rn n’a pas attendu Donald Trump pour désigner les migrants, les « Français de papier », les minorités sexuelles et de genre, les « tiers-mondistes » ou autres « européistes » comme ennemis de la nation. Il ne l’a pas attendu pour faire de la recherche de boucs émissaires son programme politique. Pour dénoncer la prétendue « théorie du genre » qui pervertirait l’enseignement scolaire. Ce parti, expression majoritaire de l’extrême droite en France, organise aujourd’hui des rassemblements pour dénoncer ce qu’il appelle la dictature des juges – en réalité, sa condamnation pour le détournement de 4 millions d’euros d’argent public. On oublie que c’est en France que Renaud Camus a théorisé et popularisé la théorie du « grand remplacement » de la population européenne par l’immigration maghrébine ou subsaharienne.
Pour éviter la contagion sur un terreau déjà fertile, l’essentiel est d’analyser les causes de son développement. Car, derrière les gesticulations de Donald Trump sur les taxes douanières, dont on peine à visualiser les véritables effets sur l’économie mondiale, grenouillent des idéologues tels que le vice-président : J. D. Vance. Le président-milliardaire s’occupe de faire tourner le business as usual, son colistier d’installer dans la durée une gouvernance d’obédience fasciste et raciste. Sous prétexte qu’elle rendrait à l’Amérique sa grandeur d’antan (« Make America Great Again »).
J. D. Vance a obtenu l’arrêt des programmes gouvernementaux Diversité, équité et inclusion (Dei), dont la finalité était de lutter contre les discriminations ; la suppression de la référence au dérèglement climatique sur les sites web des administrations américaines ; la suppression des crédits pour la recherche contre le sida ; la suppression, en fait, d’à peu près tout ce qui s’approche de près ou de loin à la très fantasmatique « idéologie woke », avec comme réel objectif la remise en question des principes fondamentaux des démocraties.
De J. D. Vance, l’Europe a subi, à Munich, la violence d’un discours hors sol sur la trahison des valeurs, l’illégitimité de sa gouvernance technocratique… Le tout exprimé dans un langage prétendument sans langue de bois et proche du peuple dont il se prétend le porte-parole.
Au nom de la liberté d’expression, la disparition du réel
La question est de savoir comment de tels discours, qui ne sont fondés sur aucune réalité, ont pu trouver un électorat. Et surtout, comment les dévitaliser ?
Poser cette question c’est déjà partiellement y répondre. Le discours de l’extrême droite ne cherche pas à être rationnel, son but n’est pas de traduire la vérité, mais de manipuler son auditoire pour parvenir à ses fins. L’usage du mensonge, de la vérité alternative et des fake news font partie de l’arsenal discursif régulièrement sollicité par Donald Trump et J. D. Vance. Il sert à brouiller la frontière entre l’expression d’une opinion et celle de la vérité. Fût-elle scientifique. « Vous me dites que la terre est ronde. Moi, je maintiens qu’elle est plate. Restons en là, vous avez votre opinion, j’ai la mienne tout aussi respectable que la vôtre. » Au nom du respect de la liberté d’expression, le réel disparait au profit d’une autre réalité. Le relativisme et la confusion s’installent et ouvrent la porte à tous les négationnismes. Raison pour laquelle la recherche scientifique est une cible prioritaire pour J. D. Vance. Sidération, violence et confusion sapent le socle des principes acceptés par toutes et tous, et qui fondent une société.
Une fois ce socle détruit et la nature ayant horreur du vide, les théories racistes peuvent s’installer, et elles sont essentielles pour éliminer le principal foyer de résistance au fascisme que représente le monde du travail. Car l’extrême droite redoute autant qu’elle courtise le salariat. Lieu de subordination, d’inégalité structurelle, c’est aussi le lieu où se créent les solidarités, notamment syndicales. Le syndicat est un danger pour l’extrême droite. De la solidarité naît la conscience de faire partie d’une même classe, ayant davantage d’intérêts communs que de clivages internes.
Un discours de dénigrement qui oppose les travailleur·ses
La campagne électorale du milliardaire Trump est un modèle du genre. Entièrement destinée à séduire les ouvrier·es et employé·es victimes de la crise financière de 2008 et la middle class atteinte par la dévalorisation du travail, et donc plus sensible aux logiques d’exclusions, elle s’est employée à détourner les travailleuses et travailleurs des causes structurelles et sociales qui créent les inégalités. Au détriment des migrants « voleurs de travail », du travailleur chinois sous-payé devenu « voleur de pouvoir d’achat », un discours de dénigrement qui oppose les uns aux autres, pour tuer dans l’œuf les revendications sociales et les oppositions syndicales.
Plus le lien entre syndicats et salarié·es se délite, plus le terrain est fertile pour les idéologies réactionnaires. Face à cela, il est urgent de renforcer ces liens et de reconstruire un syndicalisme de masse, populaire et offensif. Essentiel de politiser le travail.
La mobilisation contre la réforme des retraites a montré que les syndicats conservent un pouvoir de mobilisation considérable. Plus de 3 millions de personnes ont manifesté dans toute la France. À cette occasion, la Cgt et la Cfdt ont enregistré une hausse significative de leurs adhésions. Le syndicalisme a prouvé qu’il pouvait incarner un espoir, une alternative crédible.
L’avenir du syndicalisme se joue aussi dans sa capacité à construire des alliances : avec les mouvements féministes, écologistes, antiracistes, étudiants. En tissant des liens entre luttes sociales et luttes culturelles, le syndicalisme peut redevenir un moteur de transformation sociale globale. Il ne doit plus hésiter à affirmer que défendre les salaires et les droits, c’est aussi lutter contre le racisme, le sexisme, la destruction de la planète.
Nous avons moins de deux ans avant les élections présidentielles de 2027. Le risque de voir l’extrême droite accéder au pouvoir n’a jamais été aussi fort. C’est maintenant qu’il faut agir. Le syndicalisme, s’il se donne les moyens de se renouveler sans renier ses fondamentaux, peut redevenir la colonne vertébrale d’une démocratie sociale vivante, protectrice et inclusive.