Père d’un garçon de 11 ans, Christophe* vit à Dompierre-sur-Mer, une commune proche de La Rochelle, dans la plaine céréalière d’Aunis, « une zone d’agriculture intensive ». Comme lui, les habitants sont inquiets. En 2018, le Chu de Poitiers a émis une alerte sanitaire en raison du nombre élevé d’hémopathies ou de cancers dans l’agglomération rochelaise. Les cancers pédiatriques sont tout particulièrement alarmants : dix sont recensés entre 2008 et 2020 dans les communes de Saint-Rogatien et Périgny.
Le nombre de cas en Charente-Maritime est plus de quatre fois supérieur à la moyenne nationale, selon la Ligue contre le cancer. En 2021, dans ce même périmètre, le capteur de qualité de l’air relève, à Montroy, la plus forte concentration française de prosulfocarbe, un herbicide. En 2023, une pollution au chlorothalonil, un fongicide interdit, entraîne la fermeture des points de captage d’eau potable dans cette même zone.
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Karl Marx
Un climat de défiance s’installe. En 2018, des habitants créent l’association Avenir santé environnement (Ase) pour informer et interpeller les pouvoirs publics sur les actions de prévention qui s’imposent. « Pourquoi autant d’enfants sont-ils tombés gravement malades en quelques années ? s’interroge Franck Rinchet-Girollet, l’ex-président de l’association. Nous n’affirmons pas que les pesticides sont la cause des cancers pédiatriques, mais nous considérons qu’ils contribuent à un effet cocktail non pris en compte, et certainement dévastateur pour la santé et la biodiversité. Nous avons décidé d’agir contre tous types de pollutions ou d’expositions subies, d’autant que l’État se montre défaillant. » Père d’un enfant en rémission d’un cancer, cet ancien conducteur de bus s’est beaucoup investi, jusqu’à s’engager en politique, devenant collaborateur parlementaire de Benoît Biteau, député écologiste de la 2e circonscription de Charente-Maritime.
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L’étude « Nos enfants exposés aux toxiques » (Neext) a été lancée sous sa présidence, en février 2024. Les urines et les cheveux de 72 enfants volontaires, âgés de 3 à 17 ans, vivant dans les six communes les plus impactées, ont été analysés, pour identifier chaque polluant, observer les différences géographiques, informer la population et orienter des actions auprès des autorités. « Notre environnement est chargé en pesticides. Nous avions besoin de savoir de quels produits il s’agissait, et dans quelles proportions ils étaient présents », rappelle Christophe. La démarche, gratuite pour les testés, a été financée par Ase grâce aux adhésions et aux dons, pour un coût total de 30 000 euros.
Des substances interdites depuis des années
Dans les cheveux du fils de Christophe, trois produits chimiques ont été retrouvés. « Ils proviennent de détergents domestiques et d’insecticides agricoles. Nous ne savons pas si c’est grave et nous aimerions avoir des réponses », commentait le père de famille lors de la soirée de restitution des résultats, en octobre 2024 à La Rochelle, déplorant par ailleurs que « cette étude soit à l’initiative d’une association et pas des autorités sanitaires »
Dans l’assemblée de quelque 300 personnes, des familles outrées et exaspérées : aucun des 72 participants à l’étude Neext n’est vierge de molécules. Certaines proviennent d’usages domestiques (antimoustiques, antipuces pour les animaux, détergents), d’autres de produits de traitement du bois et, plus encore, de l’agriculture (fongicides, herbicides, insecticides…). Certaines substances identifiées sont pourtant interdites depuis des années, notamment des néonicotinoïdes. Ce qui a scandalisé les parents, à l’instar de Nicolas : « Un taux important d’une molécule interdite et neurotoxique, réputée pour ne pas être rémanente, a été détecté dans les urines de ma fille. Elle a donc subi une exposition aiguë à un produit dangereux et illégal juste avant les prélèvements. Comment est-ce possible ? »
« L’Agence régionale de santé ne s’est pas saisie du sujet »
Les résultats de Neext ont fait l’effet d’une bombe, y compris dans les médias. Ils sont le fruit d’un an et demi de travail mené par des bénévoles, parmi lesquels des scientifiques, qui ont estimé faire leur devoir au regard des enjeux de santé publique et de leurs missions d’intérêt général. « Nous sommes passés à l’action, car l’Agence régionale de santé ne s’est pas saisie du sujet, comme cela a pu être le cas dans d’autres régions, rapporte Gwenaëlle Mondet, référente du pôle recherche d’Ase. Nous avons cherché un soutien scientifique et médical, car nous avions peur d’être catalogués militants écoterroristes et nous tenions à donner de la crédibilité à notre projet citoyen de recherche, en garantissant l’objectivité et le sérieux de notre démarche, de la réflexion et des analyses qui en résulteraient. Nous avions donc besoin d’un soutien scientifique et médical. »
L’association a ainsi fait appel à un laboratoire public – dont elle tait le nom, car les personnes impliquées n’étaient pas officiellement missionnées –, qui a pris en charge les prélèvements, au printemps 2024, juste après des épandages. Un laboratoire local, Bio 17, a fourni les kits, assuré le transport et relayé la transmission des résultats. Et Ase s’est associée à la toxicologue en santé humaine Laurence Huc, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset) et à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui travaille, entre autres, sur les liens entre polluants et cancers